
Dans un champs
Aujourd’hui, j’ai décidé de changer de nom. Alors j’ai arpenté les champs, m’imprégnant des mille possibilités qui s’offraient à moi. Ferdinand, Jacques, Albert, Jim, Samuel… J’ai même pensé prendre le nom d’un animal, La Belette. Ou bien Marte. Chaque prénom avait sa promesse, sa couleur. Autant de destins qui pouvaient changer ma vie, c’était vertigineux.
Et puis, au détour d’un chemin poussiéreux, je l’ai rencontrée. Elle broutait paisiblement, ignorant mon dilemme existentiel. J’avoue : son indifférence m’intriguait. Était-ce un signe. Un appel à la simplicité ou un avertissement silencieux ? Je me suis arrêté, fasciné par cette créature qui, sans un mot, semblait comprendre bien plus que je ne le pouvais.
Elle broutait toujours, inlassablement, sous le regard indifférent de notre Dieu Soleil. Mais aujourd’hui, quelque chose avait changé. Peut-être était-ce dans la qualité de l’air, ou dans le murmure du vent qui, d’habitude, était à peine perceptible. Ou peut-être, c’était moi. Mon regard était attiré par un mouvement étrange, une danse discrète entre elle et la terre. Chaque brin d’herbe semblait se tendre vers sa bouche comme s’il souhaitait être dévoré, comme si l’acte de brouter devenait un rituel sacré, une cérémonie millénaire inscrite dans le cœur même de la nature.
Je l’observais, captif de ce spectacle, tandis que mes pensées s’égaraient dans un labyrinthe de réflexions. Ce lien entre elle et moi, si simple en apparence, cachait une vérité peut-être plus profonde, une vérité que je n’avais jamais osé affronter. Chaque masticage de l’herbe résonnait comme un compte à rebours, un écho qui vibrait en moi, me rappelant l’inévitable. Bientôt, elle ne serait plus qu’un souvenir, un repas. Un steak plus ou moins cuit dans quelque assiette plus ou moins affamée. Mais qui, en fin de compte, était vraiment la proie ici ? Était-ce elle, qui vivait dans une ignorance béate de son destin, ou moi, enchaîné à une culpabilité que je n’arrivais pas à comprendre ?
Je me levai pour partir, mais quelque chose me retint. Un frisson parcourut l’air, et l’ombre d’une pensée étrange me traversa l’esprit. Et si… Et si elle savait ? Et si, tout en broutant, elle était pleinement consciente de son sort, de ce lien entre elle et moi, de cette absurdité qui nous tenait prisonniers tous les deux ? L’idée était ridicule, bien sûr. Mais elle s’insinuait en moi, refusant de partir, plantant ses griffes dans mon esprit.
Je la regardai à nouveau. Ses yeux étaient calmes, presque sereins. Un peu vides apparemment mais pourtant, en y regardant plus attentivement je pouvais apercevoir une lueur y briller, quelque chose d’ancien, de profond, que je n’avais jamais remarqué auparavant. Était-ce de la résignation ? Ou pire encore, de la pitié ? Une pitié pour moi, l’homme qui croyait être au sommet de la chaîne alimentaire, mais qui, en réalité, n’était qu’un simple rouage dans une machine beaucoup plus vaste.
Le soleil commençait à se coucher, teintant le ciel d’un rouge profond. Elle continuait de brouter, ignorant l’obscurité qui avançait. Mais moi, je sentais cette obscurité s’insinuer en moi, remplissant mes pensées de doutes et de peurs que je n’avais jamais ressentis auparavant. Peut-être n’étais-je pas aussi libre que je l’avais cru. Peut-être étais-je autant prisonnier de ce cycle absurde qu’elle l’était.
Je détournai finalement le regard, incapable de supporter cette révélation. Elle continuait, inébranlable, avec cette sérénité qui me faisait tant défaut.
Dans un souffle, j’osais : « M’en fiche ! A midi poulet frites ! »
Camille
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Bonjour,
En écho à votre texte, 2 poèmes….
– Le Temps qui chasse –
L’avachie somnole à l’ombre du ruisseau
son outre obscène gorgée de nectar
étalée sur le sable brûlant
et qu’aucun veau ne viendra jamais quémander
Entre chaque battement de ses longs cils
des nuées de mouches noires viennent lécher
ses larmes de mousson mexicaine
Entre chaque claquement de son fouet
le taon qui passe se plante dans sa chair
pour sucer sa sève de soleil
Entre chaque tressaillement de ses rêves
des pies kiowas bavardent et picorent
leur maigre pitance sur son dos
Mais quel diable d’infini l’avachie rumine-t-elle à l’horizon tremblant du pré
tandis que le Temps qui chasse
nous tétanise
Aucun grand prédateur ne surgira pour la surprendre
dans sa torpeur bovine
Apaisée l’asservie
qui consent à ne rien attendre d’autre
que l’heure de la traite blanche
Intranquille Petit-Esprit
tapi dans le buisson du quotidien
qui guette sa traite de fin de mois et la retraite de fin de vie
– Le Temps, l’Ennui et l’Inéluctable –
Heureux Vieux-Bœuf-agenouillé
qui mâchonne sans fin l’herbe du temps
Il devient le Temps
Heureux Vieux-Bœuf-agenouillé
qui ne cherche plus à combattre l’ennui
Il devient l’Ennui
Heureux Vieux-Bœuf-agenouillé
qui ne craint plus sa mort inéluctable
Il devient l’Inéluctable
Heureux Vieux-Bœuf-agenouillé
qui a oublié l’extermination de ses cousins d’Amérique
Nous
ruminants dominés
l’ennui inéluctable du temps
vient chaque jour vriller son fer rougi
dans la chair de nos consciences
Il suffirait à l’Homme
de s’enivrer de cet ennui
comme d’un miel d’instant présent
s’écoulant telle une rivière dans la panse du Temps
Heureux Vieux-Bœuf-agenouillé
qui observe l’animal humain avec grande compassion
Amicalement,
L Thines